Matoub Lounes ou la crédulité sacrifiée

Pour le lecteur pressé

by Lmehna

Dans le meilleur des mondes , l’histoire a vocation universelle et se veut le récit objectif des faits du passé, dans les pays aux engrenages politiques et idéologiques compliqués elle se réécrit au fil des épreuves , celle des hommes qui l’ont marquée de leur emprunte se construit aussi avec le temps, il n’en restera au bout du chemin que la vérité comme disent les sages : « Id-itsegrayen ala sah».

 

Nous avons vécu une période terrifiante de l’Histoire contemporaine de l’Algérie , une décennie noire  qui a saigné le pays de son intelligentsia et qui a fait des dizaines de milliers de morts .
Si nous gardons en nous l’incroyable ferveur des engagements nourris de grandes utopies , nous portons aussi le souvenir de la tragédie humaine qui a vu disparaître les meilleurs d’entre nous.

Certains ont été témoins ou acteurs des faits , d’autres ont imprimé leurs noms dans l’histoire après en avoir payé le prix du sang . Ils laissent derrière eux la noblesse de leurs actes, leur vision du monde , la liberté de leur verbe et quelques formules d’usage gravées sur leurs tombeaux.

« Xas ulac-ik Tellid », on pourrait  croire que la mort est une victoire , si elle ne faisait pas taire les hommes.

On sait à présent que la guerre civile était d’abord une guerre menée contre les intelligences .
Ce n’est pas pour rien que les premières cibles des tueurs étaient les écrivains , journalistes , intellectuels et les Tahar Djaout , Rachid tigziri, Djilali Liabes , Saïd Tazrout autant d’êtres qu’un pays ,qui n’est plus que l’ombre de lui même, ne pourra plus jamais  «fabriquer »
«il y a un projet de liquider cette frange de la population parce qu’elle sait ce que signifie la république et la démocratie »
écrivait Said Meqbel.

Tout le monde a compris depuis que ces grands hommes  qui sont partis en pure perte ont été sacrifiés dans un jeu de dupes.

Dans son œuvre posthume , Djaout comparaît les mots à un « acide qui creuse dans l’opacité du dogme , des trous ou se logent la controverse et où prolifèrent les questions ».  
Les mots sont aujourd’hui condamnés au silence , en criminalisant la parole du moindre éditorialiste , du simple  blogueur indépendant et du  citoyen parce qu’elle est jugée critique, L’Algérie  a englouti toutes nos espérances de voir s’ériger un jour un état de droit.

Un des artistes les plus emblématiques de l’époque , Matoub Lounes, un homme aux engagements radicaux et au talent incommensurable décide de consacrer sa vie entière à une seule cause , l’engagement pour la Kabylie .

Poète à l’âme torturé , prêt à toutes les abnégations pour défendre notre idéal , il encourt délibérément tous les risques et brave les pires dangers , persuadé comme nous tous , que le combat pour la liberté et la reconnaissance identitaire est voué à triompher.

Lounes est un individu hors normes, haï par ses détracteurs et  adulé par les siens ,qui devient très vite l’une des personnalités les plus captivantes de son temps.
Il fascine de son vivant en incarnant le courage et la résistance face à l’oppresseur mais c’est la mort qui l’érige en héros en lui ouvrant les portes de l’éternité, elle lui confère une aura telle que ni ses détracteurs , ni même ses plus farouches opposants n’osent à ce jour tenter de s’aventurer à ternir son image .

J’éprouve un haut le cœur en entendant , Ahmed Ouyahia se fendre d’un  hommage le concernant sur une chaîne de télévision Berbère, cet homme là ose tout comme tous ces gens du système.
Il parle sans tressaillir et sans le moindre battement de cil et lui attribue le qualificatif de résistant en utilisant un mot  fort de symbolique : «Moudjahid » , la situation est tellement malaisante que le journaliste embarrassé a du mal à dissimuler sa gêne .

Est il utile de rappeler qu’Ahmed Ouyahia, rebaptisé «orphelin de la parole» par celui dont il fait l’éloge est perçu par la Kabylie entière comme l’incarnation suprême de la traîtrise en raison de son implication dans la promulgation de toutes les lois sur le renforcement de la généralisation de la langue Arabe. ( sa progéniture quant à elle étudie à Londres ou à Paris)
Il pousse  loin le cynisme et s’exprime dans sa langue maternelle , une langue qu’il n’a eu de cesse de combattre   en tant que chef du gouvernement.
j’aurais aimé entendre les mots du  « Moudjahid » pour qualifier de telles bassesses.

Lounes se définit comme un éternel insoumis , personnage autodestructeur , il donne très tôt à ses gestes , aux actions qu’il entreprend et à sa vie entière une dimension sacrificielle.

Nullement intéressé par les honneurs et la gloire, il n’aspire qu’à laisser son empreinte dans l’histoire pour survivre dans la mémoire collective parmi les figures révolutionnaires de son temps, on peut dire qu’il a été exaucé bien au delà de ses espérances.

La devise « vivre libre ou mourir» qu’il arbore sous forme de tatouage résume à elle seule l’essence même de toute son existence .
Il m’a souvent dit dans un grand éclat de rire avoir gravé ces mots sur sa peau pour envoyer un ultime coup de gueule à ceux qui prépareraient sa dépouille au jour du grand voyage.

Évoluant avec le sentiment que sa vie serait courte , il imagine très tôt et sans tabou sa propre mort, en parle si souvent que je finis par ne plus en prendre ombrage.
Lorsqu’il évoque l’an 2000 , c’est avec la certitude de ne jamais franchir le cap du nouveau millénaire.

Ses propos , à la lumière des derniers événements ont une portée résolument prémonitoire:

. «Je ne veux pas que tu me pleures, c’est sur votre propre sort qu’il faudra larmoyer»

Sa vie a été courte et son histoire éternelle.
Aujourd’hui, quelques uns de ses actes et de ses dires sont transformés par l’imagination  populaire pour alimenter le culte et nombre  de témoignages n’ont vocation qu’à nourrir le mythe.

Le grand paradoxe de Lounes est que ce sont ceux qui le connaissent le moins qui en parlent le plus.
Certains  sans jamais avoir croisé sa route se revendiquent de son amitié et se livrent à des témoignages à l’authenticité douteuse , cela va  du chanteur en mal de reconnaissance plus connu pour ses activités de dénigrement sur les plateformes que pour sa musique, aux personnalités politiques qui se revendiquent d’une « amitié » qui n’en était pas.
Pendant ce temps , les  vrais compagnons ,  Fodil , Rachid , Henni, Farid   qui ont  vécu à ses  côtés pendant  de longues années , font preuve d’une grande réserve , je ne les ai jamais entendu se prêter  aux jeux de la mise en scène.

D’autres  scénarisent leurs histoires , vivotent dans le sillage de son célèbre nom et ont même construit de toutes pièces des personnages dans lesquels ils se sont enfermés . 
C’est comme ça , le militantisme a de tous temps attiré des gens qui veulent changer le monde et d’autres qui cherchent à exister.
Nous en avons croisé ensembles , de ces gens  qui cherchent à attirer la lumière en brassant du vent, il n’avait  que mépris pour ces individus qui paradaient autour de sa personne.
Il se montrait  offensant,  parfois même insultant, il lui  arrivait parfois
 de les tourner en dérision  en s’amusant de ses propres sorties : « Si je le revois celui là dans notre sillage , a d-awir taruct fellas ! ».  

Toute cette déferlante narcissique lui aurait donné du gros grain à moudre.

Si l’époque invite à tout montrer et si la notion de vie privée est  désuète  , cela reste  pour d’autres un espace de liberté.
Je protège ma tranquillité, j’ai tout verrouillé, je n’ai ni facebook , ni aucun média social préférant rester en marge  d’une  société ou l’exposition de soi et de l’intime s’affichent partout dans une forme de banalisation de tout, je n’aime ni  les fils d’actualité imposés, pas plus que  les amis virtuels suggérés par de l’intelligence artificielle.
J’ai décliné des invitations de chaînes de télévision et refusé  les propositions de prêtes plumes de maisons d’édition, mon histoire est celle d’un combat et ce qu’ils veulent, c’est de la romance et toutes  ces choses qui alimentent la société du divertissement.

J’estime aussi que l’oeuvre de Lounes parle d’elle-même et qu’il a déjà tout dit.

Mais il devient  fréquent que des « gens»  s’ouvrent des fenêtres de visibilité en s’appropriant la vie des autres pour faire parler d’eux même si bien que de rumeurs en élucubrations rapportées par d’illustres inconnus , on voit son histoire s’écrire lentement par des individus sans vergogne qui ont à peine l’âge de ce siècle.
Si je livre quelques fragments de vie alors  que
certains enjeux , prises de positions et réflexions sont désormais complètement sorties du cadre privé , c’est aussi  pour interpeller l’opinion sur ces politiques, qui ont renié la plupart des fondamentaux pour lesquels nous nous sommes engagés à leurs côtés qui se permettent encore  d’instrumentaliser son nom pour « redorer leur blason». 

Ma parole n’est ni un hommage, ni un témoignage, c’est un « devoir de mémoire».

                         L’essentiel en quelques mots 

Lounes est un personnage un peu plus complexe que les autres et aussi étonnant que cela puisse paraître , la crédulité est après le sens de l’engagement le trait de caractère  qui le définit le mieux.
La nature humaine est faite de dualités et de contradictions et celui qui se cache derrière l’artiste est comme chacun de nous façonné par ses propres ambiguïtés.
On peut être courageux et fragile à la fois , clairvoyant et visionnaire tout en possédant une solide dose de naïveté.
Sa crédulité sera le point d’orgue de nombres de ses frasques.

Tout au long de sa vie , Lounes est traversé par cette confrontation des contraires , il est  conscient de ses failles et de ses faiblesses et me murmure souvent à l’oreille.
« Ça aussi , il faudra le dire»  , Il sait que son histoire tourmentée s’écrira derrière lui tant elle est liée à la grande histoire de l’Algérie. Il disait aussi   « Un jour, tu parleras».
Acteur et révélateur d’une époque , il se définit lui-même comme témoin de son temps , il est vrai que nous étions percutés au quotidien par les événements.

Témoin de son ascension et de ses déboires, confidente d’une vie relativement agitée , nous avons partagé ensembles l’engouement des années militantes, les échecs, les deuils , les espérances des lendemains meilleurs et l’ivresse de petites victoires .
Je connaîtrais derrière   lui le désarroi des lendemains qui déchantent , la mort  offre tout de même quelques   privilèges.

Il n’assistera ni au changement brutal des rapports de force en faveur des islamistes et ne verra   ni la « réconciliation nationale» qui réhabilite les principaux responsables des tueries collectives , ni la réinsertion sociale et politique des islamo-terroristes opérée par Bouteflika et cautionnée par la famille politique à laquelle nous avons tout donné pendant près de 10 ans : Le RCD.
Et il ne verra pas non plus l’ex-président du parti gravir les marches de la compromission jusqu’à accuser de jeunes Kabyles, animés par « la détestation de l’autre » d’avoir « tué et incendié un arabophone»  à Larbaa nath yitathen, accréditant ainsi  la position officielle du pouvoir Algérien.


J’ai assisté dans son sillage au succès , à la reconnaissance mais aussi à la maladie , aux souffrances physiques , aux menaces de mort quasi permanentes, aux convocations judiciaires et aux préjudices émotionnels causés par des épisodes de vie traumatisants.

Sa vie est un chemin de croix dont  il refuse de changer la trajectoire , j’ai  vite  compris qu’il était né pour régler des comptes , il reçoit  des coups , en  donne pas mal  et joue au bras de fer avec la mort jusqu’à ce qu’elle ne le fauche au détour d’un chemin.

Confronté très tôt au rythme infernal des opérations -hospitalisations, il a longtemps traîné son corps brisé et son abdomen perforé , poussant son pied à perfusion dans les couloirs de l’hôpital Beaujeon où nous passons  le plus clair de notre temps en attendant des jours meilleurs.
Des dizaines d’ interventions chirurgicales sont  nécessaires pour extirper de son corps les éclats de balles et venir a bout des lourds dommages causés par les blessures d’Octobre 88, son calvaire prendra fin après des années de souffrance.

Mais il ne peut vivre autrement qu’en mettant sa vie en danger, son ADN de provocateur  lui joue des tours et finit toujours par prendre  le dessus sur les bons sentiments.

Peu de temps après son rétablissement,  il se fourvoie à nouveau dans une vulgaire histoire de voisinage comme il n’en existe que chez nous, l’affaire se règle au corps à corps alors qu’il tient à peine debout sans sa cane et il repart le corps gisant vers le CHU de Tizi ouzou transpercé par un coup de couteau porté à l’endroit même de ses anciennes blessures.
Il sombre à nouveau dans un état semi- comateux , ses jours sont  comptés, son pronostic vital engagé et les autorités refusent de m’accorder  les autorisations nécessaires à son évacuation.

Nous allons batailler fort pour le sortir de cette mauvaise passe , et c’est grâce à la mobilisation générale ,au réseau d’entraide qui se met spontanément en place à l’évocation de son nom et à ma détermination que je vais pouvoir surmonter  tous les blocages administratifs.
Je réussi  à le transférer vers une unité de soins parisienne pour un retour à la case départ.
Notre fuite vers Paris prendra la tournure d’un roman d’évasion qui nourrira son orgueil,  il dira partout « Elle a organisé mon premier kidnapping » et se drapera comme un enfant dans la fierté de nous savoir collectivement capables de déplacer des montagnes pour assurer sa survie .
Lounes a  conquis le cœur des gens et à la chance dans ses malheurs de pouvoir compter sur le soutien de toute une région.

Lorsqu’il frôle la mort , il  dit vouloir  aspirer à une vie plus conventionnelle et promet (comme dans la fable)qu’on ne l’y reprendra plus , mais  le temps finit  par faire son œuvre.

L’expérience la plus terrifiante reste son enlèvement en 1994 par l’unité qui sème la terreur dans le pays et qui se revendique des Groupes Islamistes Armés, les GIA.
Retenu en otage dans des casemates pendant deux longues semaines, il élabore  des stratégies d’adaptation pour assurer sa survie en attendant d’être jugé par un tribunal islamique dans une sorte de parodie de justice où il est question de reniement et de repentance.
Il devra répondre de ses actes et justifier les paroles jugées blasphématoires de ses chansons.
Apres l’avoir si longtemps dénoncé dans ses textes, Lounes expérimente de l’intérieur la bêtise , édifiante et toute l’horreur de l’idéologie haineuse et mortifère véhiculée par le fanatisme religieux.

La Kabylie se dresse spontanément comme un seul homme aux portes de la maison dès l’annonce de son enlèvement.
Sa sœur et moi ,  entretenons  à l’époque de bonnes relations, nous assistons à des élans de solidarité de telle ampleur que nous nous sentons  comme portées et protégées par des forces surnaturelles.
Nous allons mobiliser toutes ces énergies pour mener à bien de nombreuses actions et mettre en avant la force de la région pour faire pression sur l’échiquier politique et  exiger sa libération.

Pendant  la journée,  entourées et soutenues , nous réfléchissons à toutes sortes de stratégies pour faire basculer le rapport de force en notre faveur , notre détermination est sans faille et nous donne la force d’y croire.  
Les moments de solitude nous saisissent à la nuit tombée, les nuits semblent ne pas connaître de fin et nous restons éveillées côte à côte , dans un silence glacial, à attendre un signe du destin tout en ressassant des pensées parasites:

«L’islamisme, c’est comme la mort, on en fait l’expérience qu’une seule fois», a t’on coutume de dire.

Lorsque ses ravisseurs le libèrent , contre toute attente, notre combat gagne en visibilité et sort des frontières du pays.
Nous quittons l’Algérie et reprenons le cours de la vie parisienne.
Notre existence est fortement perturbée par la présence de deux gardes du corps détachés par le ministère de l’intérieur pour assurer notre protection, je le vis  plus mal que lui encore , c’est insupportable de se sentir traqués , les deux hommes  ne nous lâchent pas d’une semelle.
Sur sollicité, Lounes se laisse emporter par le tourbillon des médias , il répond à toutes sortes d’invitations, et témoigne sur les plateaux de télévisions françaises ,  heureux d’avoir accès à toutes ces tribunes pour faire entendre la voix de la Kabylie.

 « Je devrais presque les remercier !»

A la maison, un mal sournois le ronge dont il ne veut rien laisser paraître, il a de longs  moments d’absence et prend de fortes doses d’ anxiolytiques pour échapper a des terreurs nocturnes.
Je remarque  qu’il évite soigneusement toute conversation  liée à l’événement , il m’interdît même d’en parler.

J’essaye de faire entendre que, lorsque la proximité de la mort est vécue par tous les sens , elle doit être assimilée par la parole dans un travail d’accompagnement psychologique mais il refuse toute aide extérieure, le célèbre psychiatre qui fait partie de notre cercle de relations aurait plus de poids que moi mais il est très affairé à  organiser pour lui des rencontres sur les plateaux TV , la question de la gestion du stress post traumatique ne semble pas l’interpeller.

Lorsque j’évoque ses geôliers, Lounes élude toutes les questions , il fait mine de s’enfermer dans une sorte d’amnésie volontaire où alors  il se réfugie derrière une pirouette , «Si tu veux tant les connaître, je peux t’arranger ça!».

J’apprendrai que les victimes de chocs profonds font d’incroyables efforts pour tromper leurs pensées en esquivant les situations, les conversations, parfois même les individus qui en réveillent le souvenir.
Nous sommes en 1994, je n’ai ni la maturité , ni les outils pour  comprendre  ces mécanismes, je finis par penser  que ce comportement d’évitement est  une manière de dissimuler des informations perturbantes dont il aurait eux connaissance.
Je ne sais pas comment l’expliquer mais j’ai toujours eu l’impression qu’il ne dirait  pas tout .

On sait déjà que les services orientent et actionnent ces groupes armés pour terroriser la société civile et inciter le peuple à se ranger derrière l’armée, certains démocrates antimilitaristes deviennent d’ailleurs de grands partisans du tout  sécuritaire.
Lorsque  j’évoque ces zones d’ombre , il répond toujours  par une boutadeTes idées sont aussi machiavéliques que les leurs».

Pourtant , lorsqu’un ex officier de la SM passe à table quelques années plus tard, ses propos ne laissent aucun doute , il dit clairement que la menace de l’époque « n’était pas tant les islamistes que les forces démocratiques ».
Le conflit armée était donc avant tout une guerre déclarée au peuple et à la démocratie par des forces bien installées , prêtes à commettre le pire pour ne pas céder le pouvoir.

Lounes est un exemple de dépassement de soi, il ressort de cette histoire fragilisé psychologiquement mais plus combatif encore et très inspiré, il passe son temps à écrire des textes d’une grande richesse qui le propulseront au sommet de son art.

Et puis , entre deux malheurs , il y a les grands  moments:

Je lui transmets  mon intérêt pour la découverte des cultures  du monde et ma passion pour l’histoire des peuples premiers et nous allons faire plusieurs voyages qui nous conduisent de l’autre côté de l’Atlantique.

il s’aperçoit qu’il peut échapper à sa vie, à la pression d’un quotidien ou ses moindres faits et gestes sont qualifiés de gestes politiques et il se métamorphose.
Dans ces grands espaces, coupé de tout , il lâche  prise et découvre une liberté nouvelle.
Ordinairement  suivi dans ces faits et gestes , il peut enfin circuler comme tout le monde sans être l’objet de toutes ces sollicitudes auxquelles il est confronté.

Ces moments passés loin de l’Algérie, sont les seuls moments où il se sent véritablement heureux , il découvre la vie normale et comprend mieux mon besoin de me protéger de toute forme d’exposition.
Porté par la découverte d’horizons nouveaux, confrontés à d’autres modes de vie et à d’autres malheurs, il arrive à  évacuer toutes les grandes réflexions qui nous empoisonnent la vie.
Ces  parenthèses remettent les choses à leur juste place , « Voyager rend modeste , on voit mieux la place que l’on occupe dans le monde» Gustave Flaubert.

Lors de notre traversée du grand ouest Américain, il met à  distance toutes ses souffrances pour  vivre la spontanéité du moment présent, et s’amuse même de son état: 

  «Je vais perdre toute mon inspiration , va falloir songer à me faire  un sale coup »

Les grands espaces aux décors de Western dont les célèbres rochers ont marqué l’histoire du cinéma Américain offrent des paysages spectaculaires qui nous plongent  dans un univers presque irréel.
L’imagination s’emballe, on a l’impression que les pages d’Histoire liées à l’ethnocide des tribus indiennes pendant la conquête de l’Ouest ou la grande épopée de la ruée vers l’or s’écrivent sous nos  yeux.
En Arizona , nous sillonnons   des centaines de miles de routes en lacets, laissant défiler les canyons, ces formations rocheuses aux formes figées par le temps , et  traversons   des villages fantômes vidés de leurs habitants ainsi que des ranchs désertés où l’on devine encore les traces d’un glorieux passé.
Nous dormons dans des motels miteux, aux ventilateurs défaillants , sous une chaleur écrasante et reprenons  la route pour aller à la rencontre de la plus grande communauté Amérindienne d’Amérique du Nord : La nation Navajo .
«Welcome to the Navajo Indian  reservation », un sentiment étrange s’installe dans l’air lorsqu’apparaît le panneau, nous échangeons un long regard sans dire un mot , ces  terres ancestrales, situées au cœur d’un désert aride peuplé de cactus géants sont devenus des réserves où circulent comme des ombres les descendants d’un peuple brisé.

Comment  ne pas y voir un écho à notre propre histoire ?

Perdus  au milieu de nul part , entièrement coupé du monde , bien avant l’ère des messageries instantanées et des moyens  de communication, l’expérience est  unique, c’est une très grande chance que de  l’avoir vécue  car cette liberté là n’existe plus …


Le reste de sa courte vie n’est fait que de batailles et de défis en cascades, constamment confronté à l’adversité, il se retranche derrière le paravant de la provocation et réussit tant bien que mal à utiliser ses malheurs  comme un stimulant  pour avancer mais toutes ses épreuves finissent par l’abîmer .
Et  derrière  l’arrogance médiatique et les tonitruants coups d’éclat « Pas Arabe,Pas Musulman», se dissimule un être vulnérable en proie à une guerre psychologique perpétuelle , constamment habité par le doute et partagé entre résistance et désespoir.

« Il ne restera que la danse et les hommages » , ça le plonge souvent dans une mélancolie impossible à contenir.

Une  poignée d’amis  assistent à mes côtés à ces moments de désarroi qui surgissent principalement le soir, lorsque le rideau tombe.
Ses solides  alliés sont Farid un homme a l’amitié franche et désintéressée ,  Fodil le frère de cœur ,  Henni  , Rabah , Omar et quelques  intimes tous issus du village et qui forment autour de nous une   véritable famille  plus « Plus importante à ses  yeux que celle du sang» ce sont ses propres  dires.
Essentiels à son équilibre , ses compagnons de route et d’infortune lui permettent de garder des repères solides qui le ramènent au réel  , quand on commence à prendre trop de place, cela modifie la perception que les autres ont de vous , les regards et les comportements changent , les leurs  comme le mien , sont  authentiques.

Ils le   côtoient  depuis toujours  , sont de toutes les confidences et partagent avec nous les moindres remous de l’existence.
Lounes prend souvent  des décisions coup de tête qu’il regrette aussitôt et qu’il rumine ensuite pendant des jours , nous avons fini par apprendre ensembles à décrypter tout ce langage non verbal  qui s’exprime  à travers ses débordements , son mutisme et les petits  gestes anodins du quotidien.  
Ce sont  les seuls, à  connaître sa véritable personnalité, ils savent  absolument tout de lui et beaucoup de moi mais ne se répandent  jamais  publiquement.
Par loyauté ou par amitié mais peut être aussi parce que ce pan là de l’histoire  n’appartient  qu’à nous.

SM

                                                                                                                                                       
  

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 
 
 
 

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